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The Dead Horse Club IV
27 juillet 2010

Avenir, miroir sans glace.

Enrico Caruso, Una Furtiva Lagrima

Un charmant visiteur m'a posé cette question il y a de cela quelques jours ;

Si tout se passe comme vous l'entendez, quelle vie sera la votre dans dix ans ? Cette question se veut très ouverte et j'espère que vous ne répondrez pas platement en nous révélant ce que nous savons déjà comme par exemple votre désir d'être psychiatre.

Je trouvais amusante l'idée d'y répondre ici, de manière allègre, en me laissant porter par le délire propre aux aspirations intimes. Je reste cependant on ne peut plus sérieux. Je compte bien réaliser tout ce que j'ai écrit. Les regrets sont les pires des tourments.

 

Je ne voyais pas vraiment l'avenir, ou peut-être au fond d'une tombe pour ne pas changer. Durant mes plus jeunes années, j’avais songé à me faire incinérer mais le temps passant, je me suis pris de passion pour les jolis cercueils laqués, de préférence noir ébène, que l’on entrepose au fond des caveaux et par toute la symbolique mortuaire étant associée à la mise en bière. Ce qui pousse un enfant à penser à cela, je l'ignore. Sans doute les prémisses d'une névrose. J'hésite encore souvent quant au choix des poignées de ma couche. Or ou argent ? Simples ou ouvragées ? Le satin ; c’est une toute autre affaire. La couleur sang fait trop vulgaire alors je pencherais pour un gris tourterelle, un bleu nuit ou même un noir moreau afin de forcer le  contraste de ma carnation funèbre. J’adorerais pousser la chose jusqu’à me faire forger un masque funéraire mais cela serait sans doute un peu excessif. J'ai, au contraire, toujours pensé qu'il était de bon ton pour les visiteuses féminines de porter la voilette et le corset mais si je continuais sur ma lancée, le dresscode risquerait de devenir fort dissuasif. Je ne sais si j’aime l’idée d’un cercueil ouvert pour la veillée, les artifices post-mortem étant souvent grossiers et très inesthétiques. C'est dommage, Eva et moi devions choisir notre urne funéraire. Comme je me suis rabattu sur les cercueils, je pourrais toujours utiliser la mienne comme encensoir à myrrhe.

Et si bien sûr la Veuve thanate ne me frappe pas avant cette échéance, c’est ainsi que j’aimerais concevoir les choses : achevé mon "pèlerinage italien" ; j'aurais parcouru le pays du nord au sud, de Venise à Naples, de Sicile à Lampedusa, et j'aurais goûté leurs Eglises, leurs temples, leurs boutiques occultes, leurs villages, leurs criques isolées et leurs catacombes. C'est un rêve que je souhaiterais voir accompli dans dix ans. Les flâneries dans les Trasteverini romains, les errances nocturnes dans les Jardins de Boboli, les contemplations hantées du Ca' Dario, de la Villa Lysis et du cimitero monumentale di Staglieno. Et nous verrions la Vérité, au crépuscule, sur les eaux du Canal Grande. J'aurais également fini le Carnet Noir, ce projet littéraire qui me tient à coeur depuis déjà quatre ans pour enchaîner sur la rédaction du Codex. La clôture quasi parfaite d’un cycle sur la Folie, l’Amour et la Mort. J'aurais une maîtresse, dame de compagnie fidèle et aussi sombre que je peux l’être, mais qui ne s'offusquerait pas de mes instants de frigidité passagère ou de mes amours déliquescentes et pédérastes. Elle embaumerait les nuits de ses parfums et, preuve d'un amour révérentieux, bénéficierait, à l'ombre des aulnes et des figuiers, du doux privilège de me voir poser la langue sur son sexe. Elle serait la Muse du croque-mort, la Perséphone moderne, sorte de lamie vénitienne agitant son éventail et faisant luire ses cheveux en obscures nuances de noir incarnat. Ayant tout de même un pied à terre à Bruxelles, je serais installé à Paris (cabinet de psychiatrie et de psychanalyse) et vivrais d'allers-retours en train ou en voiture (Jaguar XK120, Talbot Lago SS ou Porsche 356 pour lesquelles je commence d'ores et déjà à économiser). J’aurais vu la Nouvelle-Orléans, Saint-Pétersbourg, Vienne, Prague et Varsovie (et pourquoi pas un recueillement aux chateaux de Bran et de Csejthe ?). J’aurais revu Alger, La Ville Blanche, les jardins intérieurs de la Casbah qui fleurent bon le jasmin et le thé chaud et les ruines de Tigzirt. Me resteraient Istanbul, Shanghaï, Singapour, Tokyo, Le Caire, La Vallée des Reines et la nécropole de Saqqarah. Tous ces voyages m'amèneraient à amasser une foule d'objets précieux, aussi serais-je obligé d'avoir demeure en conséquence ; un petit manoir si les finances le permettent ou un appartement très blanc et très noir, riche en moulures, meubles d'époque, peintures et gravures angoissantes, reliques saintes et païennes, collections cabalistiques en tous genres. La Dame entretiendrait une cour intérieure garnie de bouquets de roses, de dahlias, de lys et de dionées dont le dallage serait fait de marbre blanc. J'aime la sensation des pieds nus qui le foulent une fois que la pluie terreuse y est tombée. Et cetera, et cetera...

Mais tout cela, si je suis encore en vie.

 

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Commentaires
B
Voilà de ça quelques temps que je n'ai lu aussi belle prose.
The Dead Horse Club IV
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"Live fast, die young and leave a beautiful corpse."
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